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Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l’observation de l’État du Qatar.

Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l’observation de l’État du Qatar.


Nous avons pris connaissance de la Déclaration conjointe sur les pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l’observation de l’État du Qatar.

IMG-20250628-WA02021 Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l'observation de l'État du Qatar.

Cette déclaration publiée en date du 18 juin sur le site du Département d’État s’appuie sur la Déclaration de principes signée le 25 avril 2025, sur laquelle nous nous sommes déjà exprimé.

Nous saluons toutes les initiatives visant à une paix juste et durable pour mettre un terme à la souffrance inouïe de la population civile due à la guerre d’agression, d’occupation et de pillage des ressources naturelles que traverse la RDC.

Pourtant, la déclaration conjointe faisant suite aux pourparlers qui se sont tenus cette semaine à Washington au niveau des équipes techniques des parties au conflit en présence de la Sous-secrétaire d’État américaine aux Affaires politiques, est vague et se contente d’énumérer une série de dispositions sur le respect de l’intégrité territoriale et l’interdiction des hostilités ; le désengagement, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques ; la mise en place d’un mécanisme conjoint de coordination; la facilitation du retour des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, ainsi que l’accès humanitaire ; et un cadre d’intégration économique régionale.

Nous réitérons notre circonspection face à des efforts de médiation qui éludent la reconnaissance de l’agression de la RDC par le Rwanda et un processus caractérisé par son caractère opaque et non inclusif, qui laisse à penser qu’il est à l’avantage de l’agresseur non sanctionné, qui verra ainsi ses crimes du passé et du présent blanchis en « coopération économique ».
Dans l’état actuel, l’accord en genèse reviendrait à accorder une prime à l’agression, à légitimer le pillage des ressources naturelles congolaises et à contraindre la victime à aliéner son patrimoine national en sacrifiant la justice en vue de garantir une paix précaire et fragile.

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De plus, la déclaration conjointe fait l’économie des prescrits de la résolution 2773 adoptée le 20 février par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. En tant que source du droit international, cette résolution s’impose à tous les États et exige un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel ; le retrait immédiat des Forces de défense rwandaises du territoire de la RDC et la fin de leur soutien au M23, sans conditions préalables ; ainsi que le démantèlement des administrations parallèles illégales établies dans les zones occupées.

Nous exprimons par conséquent des réserves sur les négociations en cours et lançons un appel à la transparence et à l’inclusivité, en ayant recours à une participation significative des femmes et des jeunes. En outre, le conflit en cours, qui s’inscrit dans la continuité de trente ans de guerres d’agression et de la commission d’une pléthore de crimes internationaux, ne pourra se résoudre sans placer la lutte contre l’impunité et le recours à tous les mécanismes de la justice transitionnelle au cœur des efforts de pacification.

Envisager une intégration économique et une cogestion des ressources naturelles avec un État agresseur à la base du pillage systématique des ressources minières et de millions de morts sans parler de justice et de réparations est inconcevable pour la population congolaise en général et les communautés martyres de l’Est du Congo en particulier. La justice est non négociable et les richesses du sous-sol congolais ne peuvent être bradées de manière opaque dans le cadre d’une logique extractiviste néocoloniale.

IMG-20250205-WA0094-1 Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l'observation de l'État du Qatar.

La paix ne peut se réduire à faire taire les armes, à obtenir un armistice et à faire du business car pour être juste et durable, elle ne peut faire l’économie de la justice, du respect des droits humains et du droit international. Il est donc crucial de recourir à la justice transitionnelle pour prévenir la répétition des conflits et des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire et instaurer une paix durable en RDC. La justice, la vérité et des réparations constituent des préconditions à la réconciliation et à la cohabitation pacifique au sein des pays des Grands Lacs africains.

Aucun accord ne doit passer sous silence les massacres à grande échelle qu’a subi la population civile congolaise, les viols commis sur des centaines de milliers de femmes, et les déplacements forcés de millions de personnes.

MSB220722 Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l'observation de l'État du Qatar.

Nous sommes également réservé face à l’approche bilatérale privilégiée par la diplomatie américaine face à une crise dont la dimension est largement régionale, avec la présence de diverses armées étrangères, dont celles de l’Ouganda et du Burundi, et entretenue par des intérêts géostratégiques qui touchent au fonctionnement de l’économie mondiale. La conclusion d’un accord bilatéral n’aura donc pas vocation à consolider une paix durable.

Ainsi, nous exhortons les acteurs impliqués à privilégier une approche multilatérale, et à assortir les appels au cessez-le-feu et au retrait des forces d’occupation d’un calendrier ferme et de sanctions fortes et coordonnées en cas de non-respect persistant de la résolution 2773 du Conseil de sécurité.

IMG-20250529-WA0020 Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l'observation de l'État du Qatar.

Enfin, nous appelons à nouveau tous ceux qui œuvrent à promouvoir davantage de paix, de stabilité et de prospérité en RDC et dans la région des Grands Lacs, y compris à Washington, à revitaliser l’Accord Cadre de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région et à organiser une conférence internationale de haut niveau, avec la facilitation des institutions et des pays garants.

Le chemin de la paix dans la région des Grands Lacs est possible, si et seulement si les efforts en cours sont animés par la volonté politique des dirigeants de la région et par la bonne foi de toutes les parties impliquées dans la recherche d’une sortie de crise durable, qui ne pourra pas faire l’économie de la justice.

IMG-20250529-WA0134 Réflexions du Dr Denis Mukwege sur la déclaration conjointe du 18 juin au sujet des pourparlers de paix entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, sous la médiation des États-Unis et sous l'observation de l'État du Qatar.

Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018.

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