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ANALYSE CRITIQUE DE L’ACCORD DE WASHINGTON ENTRE LA RDC ET LE RWANDA DU 27 JUIN 2025.

ANALYSE CRITIQUE DE L’ACCORD DE WASHINGTON ENTRE LA RDC ET LE RWANDA DU 27 JUIN 2025.

ANALYSE CRITIQUE DE L’ACCORD DE WASHINGTON ENTRE LA RDC ET LE RWANDA DU 27 JUIN 2025.

Par le Professeur Dédé Watchiba.

Le 27 juin 2025, un accord de paix qualifié d’« historique » a été signé à Washington entre la RDC et la République du Rwanda, sous l’égide des États-Unis. Il s’agit d’un développement majeur dans un conflit régional qui dure depuis plus de trois décennies.

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Ce texte, fruit d’une intense médiation diplomatique, vise la cessation des hostilités, le retrait progressif des forces rwandaises du sol congolais, la neutralisation des FDLR, la coordination sécuritaire conjointe, et l’établissement d’un cadre de coopération économique régionale.

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S’il suscite beaucoup d’espoir, cet accord mérite une lecture analytique approfondie, en tenant compte des dynamiques politiques, sécuritaires et géopolitiques de la région. Cette contribution propose une revue critique de l’accord de Washington, en évaluant ses points forts, ses limites et les conditions de sa mise en œuvre effective.

I. LES POINTS FORTS DE L’ACCORD.

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1. Réaffirmation du respect de la souveraineté et de l’intégrité territorialeL’accord s’inscrit dans une logique de droit international public en mettant en avant le respect des frontières, la souveraineté et la non-ingérence (article 1). Il reprend les principes de la Charte des Nations Unies et de l’Acte constitutif de l’Union africaine, consolidant ainsi un socle juridique fort.

2. Mise en place d’un mécanisme conjoint de coordination de la sécurité (JSCM)La création de ce mécanisme, doté de représentants militaires, du renseignement et diplomatiques, témoigne d’une volonté de surveillance mutuelle et de transparence dans la mise en œuvre du plan CONOPS (Concept of Operations), ce qui constitue une innovation importante dans la diplomatie régionale.

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3. Appui au retour des réfugiés et des déplacés internesLe texte consacre le droit au retour « sûr, volontaire et digne » des réfugiés (article 4), en conformité avec le droit international humanitaire et les accords tripartites de 2010. C’est un pas important pour la réconciliation des populations transfrontalières.

4. Ancrage économique régional pour pérenniser la paixL’accord prévoit un cadre d’intégration économique régionale structuré, incluant la gestion conjointe des ressources naturelles (lac Kivu, parcs naturels, …), avec la participation des États-Unis. Cette approche géoéconomique vise à rendre la paix économiquement rationnelle et mutuellement bénéfique.

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II. LES LIMITES STRUCTURELLES ET POLITIQUES DE L’ACCORD.

1. Absence de désarmement immédiat du M23 et retrait non contraignant du Rwanda.

L’un des aspects les plus problématiques de l’accord de Washington réside dans l’absence d’une clause explicite imposant le désarmement immédiat et sans condition du M23, pourtant considéré par Kinshasa, les Nations Unies et de nombreuses chancelleries occidentales comme une émanation directe de l’appareil sécuritaire rwandais. Le texte s’en tient à une formulation diplomatiquement prudente, mentionnant le soutien aux pourparlers de Doha entre la RDC et l’AFC/M23, mais sans intégrer le M23 comme partie prenante à l’accord principal.

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Ce choix, sans doute dicté par une volonté d’éviter l’implosion du processus de paix à Washington, crée cependant une zone d’ambiguïté stratégique sur l’avenir de ce groupe armé qui continue de contrôler de vastes portions du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.De surcroît, l’accord évite soigneusement d’exiger un retrait immédiat et inconditionnel des troupes rwandaises du territoire congolais, contrairement aux déclarations fermes du président Félix Tshisekedi dans les mois précédents. Il introduit au contraire une logique de retrait conditionné à la neutralisation des FDLR par la RDC.

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Cette équivalence entre la présence du M23 appuyé par le Rwanda et celle des FDLR accusées de collusion avec les FARDC revient à créer une forme de symétrie artificielle entre deux réalités très différentes. Elle permet au Rwanda de justifier diplomatiquement le maintien de sa présence militaire en RDC comme une simple « mesure défensive » visant à protéger sa sécurité nationale. Le retrait devient ainsi techniquement possible, mais politiquement différable à l’infini, dès lors que Kigali estime que la menace des FDLR n’a pas été « éradiquée ».

Ce renversement de la logique diplomatique fragilise la position congolaise. D’une exigence claire de souveraineté territoriale, le narratif passe à une conditionnalité mutuelle qui dépend de la capacité militaire et logistique de la RDC à désarmer un groupe armé opérant dans des zones qu’elle ne contrôle même plus. En d’autres termes, Kinshasa se voit imposer une obligation dont la réalisation effective est hors de sa portée immédiate, surtout dans un contexte de déséquilibre des forces sur le terrain.

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Ce déséquilibre est d’autant plus flagrant que le M23, qui a récemment conquis des villes aussi stratégiques que Goma ou Bukavu, agit en position dominante, et peut instrumentaliser les lenteurs des négociations de Doha pour consolider ses acquis militaires.

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En ne liant pas l’accord à une exigence concrète de retrait ou de cantonnement du M23, les rédacteurs du texte prennent le risque de laisser s’installer un statu quo militaire de facto, tout en créant l’illusion d’un processus de désescalade.

Enfin, sur le plan juridique, le caractère non contraignant du retrait rwandais constitue une faiblesse structurelle du texte. Aucune échéance précise n’est fixée pour ce retrait, et aucune sanction n’est prévue en cas de prolongation injustifiée de la présence militaire étrangère. Cela affaiblit la force exécutoire de l’accord et relègue la question du respect de la souveraineté congolaise à une variable d’ajustement diplomatique, plutôt qu’à un principe fondamental du droit international.

En somme, cette articulation déséquilibrée entre le désarmement des FDLR et le retrait du Rwanda entame la crédibilité de l’accord aux yeux d’une partie de l’opinion congolaise et régionale. Elle pourrait également nourrir un sentiment d’humiliation ou de capitulation stratégique, si elle n’est pas corrigée dans les phases ultérieures du processus de paix.

2. L’accord prévoit une neutralisation des FDLR par la RDC, en contrepartie d’un désengagement progressif des troupes rwandaises. En apparence, ce couplage traduit une logique de responsabilités partagées. En réalité, il crée une impasse stratégique.

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Les zones où opèrent historiquement les FDLR sont aujourd’hui contrôlées par le M23 et les RDF, ce qui empêche de facto toute action militaire congolaise autonome. En liant la levée des troupes rwandaises à des actions que Kinshasa ne peut objectivement pas mener sur le terrain, l’accord offre au Rwanda une marge de manœuvre pour différer indéfiniment son retrait. Ce déséquilibre transforme une mesure de désescalade en une conditionnalité piégée, difficilement applicable sans renverser au préalable les rapports de force.

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3. Le précédent des accords non respectés.

L’histoire récente est jalonnée d’accords similaires (Lusaka 1999, Pretoria 2002, Nairobi 2007, Addis-Abeba 2013, Luanda 2022, etc.) dont la plupart ont échoué faute d’application sincère. Le scepticisme est donc légitime, tant les mécanismes de vérification ont souvent été contournés ou affaiblis.

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4. Flou sur le sort du M23 et absence d’engagement clair à Doha.

L’accord mentionne les pourparlers de Doha mais n’intègre pas le M23 comme partie à l’accord. Or, ce mouvement reste militairement actif et contrôle toujours plusieurs localités stratégiques dans l’Est de la RDC. Sans un accord global incluant le M23, la stabilité ne peut être garantie.

5. Risque d’instrumentalisation politique par les régimes en place.

Pour Kigali, cet accord offre une respiration politique après les sanctions internationales et permet de se repositionner sur la scène internationale. Pour Kinshasa, il permet de « sauver la face » après une série d’humiliations militaires. Dans les deux cas, le risque d’instrumentalisation politique à court terme n’est pas négligeable.

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6. Lourdeur institutionnelle et dépendance à l’égard des parrains extérieursLa multiplicité des mécanismes (JSCM, comité de surveillance, appui de la MONUSCO, implication de l’UA, du Qatar et des États-Unis) peut créer une lourdeur administrative contre-productive. De plus, la paix devient dépendante de garants extérieurs, ce qui pose un problème de souveraineté stratégique à moyen terme.

III. CONDITIONS DE SUCCES ET PROPOSITIONS D’AMELIORATION POUR UNE PAIX DURABLE.

La signature de l’accord de paix de Washington, bien que saluée comme une avancée diplomatique notable, ne saurait être considérée comme une fin en soi. Le premier impératif pour la République démocratique du Congo est de résister à la tentation du triomphalisme et de l’autosatisfaction.

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Il s’agit d’un moment d’introspection nationale qui doit amener les autorités à reconnaître les limites internes de l’État et à s’engager dans une refondation profonde de la gouvernance. La paix ne peut être durable que si elle s’accompagne d’une cohésion nationale renforcée, respectueuse du jeu démocratique, où la pluralité d’opinions et la critique constructive ne sont pas assimilées à de l’hostilité, mais reconnues comme éléments moteurs de la consolidation républicaine.

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Par ailleurs, l’histoire des conflits dans la région démontre qu’un État faible est un facteur de déstabilisation pour toute la sous-région. C’est pourquoi la stabilisation durable passe nécessairement par le renforcement des institutions congolaises.

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Cela implique la restructuration de l’appareil sécuritaire, en particulier les Forces armées de la RDC (FARDC), la restauration effective de l’autorité de l’État sur les territoires échappant au contrôle gouvernemental, ainsi que la mise en place d’une gouvernance transparente et rigoureuse dans la gestion des ressources naturelles. La lutte contre la corruption et la politisation des institutions est également une exigence fondamentale pour restaurer la légitimité étatique.Un autre levier déterminant pour le succès de l’accord réside dans la mise en place d’un mécanisme de suivi réellement indépendant et contraignant.

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L’implication des États-Unis dans la médiation offre une garantie précieuse, à condition que cette présence ne se limite pas à un rôle symbolique. Des mesures dissuasives claires doivent être prévues en cas de violations de l’accord, incluant des sanctions diplomatiques, militaires ou économiques ciblées contre les parties récalcitrantes.

Le mécanisme conjoint de coordination de la sécurité (JSCM) ne doit pas devenir une simple chambre d’enregistrement, mais un véritable outil d’alerte, de vérification et de correction des écarts par rapport aux engagements pris.Il convient également de sortir de l’illusion selon laquelle la crise RDC–Rwanda serait un conflit bilatéral isolé. Elle s’inscrit dans une architecture régionale complexe, marquée par des tensions transversales persistantes : entre la RDC et l’Ouganda, entre le Rwanda et le Burundi, sans oublier les foyers endogènes d’instabilité dans l’Ituri ou le Sud-Kivu.

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Une approche strictement bilatérale risquerait de reproduire les erreurs du passé. C’est pourquoi une perspective holistique de paix, à l’échelle des Grands Lacs, s’impose, articulée autour d’une diplomatie régionale inclusive, soutenue par l’Union africaine et les organisations sous-régionales telles que la CIRGL et la SADC.

Enfin, une paix véritablement durable ne pourra être obtenue sans un travail de mémoire, de justice et de réparation. Les crimes de masse, les déplacements forcés, les humiliations collectives et les fractures communautaires ne peuvent être balayés sous le tapis au nom de la stabilité. Une commission conjointe de vérité, de justice et de réconciliation, impliquant la société civile, les victimes et les institutions étatiques des deux pays, devrait être envisagée. Inspirée par les expériences sud-africaines ou rwandaises post-conflit, une telle initiative permettrait non seulement de refermer les blessures du passé, mais aussi de jeter les bases d’un vivre-ensemble sincère, d’une mémoire partagée et d’une reconstruction morale du tissu social transfrontalier.

Ainsi, au-delà de l’euphorie diplomatique du moment, l’accord de Washington ne trouvera sa pleine valeur que s’il s’inscrit dans une dynamique structurelle, articulant volonté politique, réformes internes, coopération régionale et mémoire historique. Autrement, il risque de rejoindre la longue liste des accords oubliés de la région des Grands Lacs.

CONCLUSION.

L’accord de Washington du 27 juin 2025 constitue une opportunité unique de tourner la page d’un cycle de violences endémiques dans la région des Grands Lacs. Il bénéficie d’un cadre institutionnel élaboré, d’une implication directe des États-Unis, et d’une vision géoéconomique réaliste.

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Mais sa réussite dépendra moins de sa sophistication diplomatique que de la sincérité des acteurs, de la capacité des États à transformer leurs systèmes politiques et sécuritaires, et de l’engagement citoyen à exiger une paix juste, inclusive et durable.

Il faut donc rompre avec la logique de « paix d’élite » dictée par la géopolitique pour embrasser une « paix populaire » construite sur la justice, la mémoire, la vérité et le développement partagé.

Pour une analyse approfondie de cette problématique et une lecture élargie des dynamiques géopolitiques régionales, le lecteur est invité à consulter mon dernier ouvrage paru le 26 juin 2025 à Paris aux Éditions L’Harmattan, intitulé Géopolitique des Grands Lacs africains – Entre crises et renaissance.

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Professeur Dédé Watchiba.

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