Grandes figures de la RDC : Léonard Mitudidi, une figure lumumbiste oubliée, stratège du maquis et espoir brisé de la révolution congolaise.

Cela fait longtemps que je souhaite écrire sur cet homme de valeur, mort tragiquement noyé dans le lac Tanganyika, victime de la jalousie de certains de ses pairs de combat. Tout le monde a parlé de Léonard Mitudidi de sa manière, mais aujourd’hui je vais évoquer ses souvenirs d’une manière différente et particulière. C’est au mois de juin de cette année que j’ai voulu parler de lui, mais les circonstances ont fait que je ne peux me souvenir de lui qu’aujourd’hui.

Cette tribune inaugure une série de récits consacrés aux hommes Bakongo qui ont marqué l’histoire contemporaine de notre pays, depuis la création de l’État Indépendant du Congo (E.I.C.) jusqu’à nos jours.
En tant que membre de la notabilité du Kongo-Central, je considère qu’il est de mon devoir de rappeler cette chronologie historique. La prochaine tribune sera consacrée à Mfumu Nzansu, le premier à se révolter contre le pouvoir tyrannique du roi des Belges, Léopold II, que l’administration de l’E.I.C. qualifia de chef rebelle.

Origines et enracinement : Lufu-Toto, terre d’histoire

Né vers 1935 à Lufu-Toto, dans l’ex Bas-Congo, Léonard Mitudidi demeure l’une des figures les plus brillantes mais les plus méconnues de l’histoire révolutionnaire congolaise. Intellectuel formé en France, militant lumumbiste intransigeant, stratège respecté du maquis et homme pour qui Ernesto Che Guevara nourrissait une profonde admiration, Mitudidi incarne une trajectoire exceptionnelle, brisée trop tôt par une mort aussi tragique que mystérieuse.

Lufu-Toto, autrefois appelée Cattier à l’époque coloniale en hommage à Félicien Cattier, est une localité du territoire de Mbanza-Ngungu dans le Kongo-Central. Située à 35 km au sud-ouest du chef-lieu territorial, cette région porte une profondeur spirituelle et historique particulière. C’est dans cette même ville de Thysville qu’est née, en septembre 1937, ma défunte mère, Luzala Idima Marie, dont l’héritage moral continue d’illuminer ma compréhension des luttes de notre peuple et de ses racines.

Thysville, aujourd’hui Mbanza-Ngungu, est une ville chargée d’histoire. C’est là que Mfumu Simon Kimbangu fut jugé et condamné à mort par un conseil de guerre belge en octobre 1921, mais sa peine fut commuée en prison à vie par le roi Albert Ier. Cette ville et sa région témoignent du long combat du peuple Bakongo pour la dignité et la justice.

De Lufu-Toto à Lyon : la formation d’un intellectuel engagé

Après une enfance au Bas-Congo, Mitudidi poursuit ses études universitaires à Lyon. Il fait partie de cette génération d’étudiants congolais revenus au pays en 1960, déterminés à bâtir un État indépendant fondé sur la justice, la dignité et la souveraineté réelle.

À son retour, il se range immédiatement aux côtés de Patrice Emery Lumumba, à l’instar de Mbuta Kanza Thomas, qui fut membre du gouvernement Lumumba en 1960 et servit ensuite comme ambassadeur du Congo dans différents pays.

Engagé au Parti Socialiste Africain (PSA), il se rapproche de Pierre Mulele, dont la rigueur doctrinale et la fidélité à Lumumba influencent profondément sa pensée.

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Au cœur du lumumbisme : Gizenga, la trahison du Lovanium et l’exil révolutionnaire

Après l’assassinat de Lumumba, Mitudidi rejoint Kisangani, où il travaille pour le gouvernement lumumbiste d’Antoine Gizenga. Mais le 4 août 1961, le conclave de Lovanium provoque une fracture historique : la majorité des cadres lumumbistes acceptent la capitulation politique en reconnaissant Adoula, opposant farouche de Lumumba, comme Premier ministre.

Mitudidi, fidèle à la ligne révolutionnaire, refuse la compromission.

Arrêté puis brièvement emprisonné, il est ensuite recruté comme traducteur au ministère des Affaires étrangères, avant de partir en mission politique avec Thomas Mukwidi en novembre 1963 au Ghana, en Guinée et en Algérie, alors considérée comme « la Mecque des révolutionnaires ». Il se rend aussi en Chine, où il reçoit une formation militaire et politique de haut niveau.

1963 : aux côtés de Mulele, les premiers pas du maquis

En 1963, Mitudidi figure parmi les quatre cadres qui entourent Pierre Mulele lorsqu’il appelle à la lutte armée contre le pouvoir du colonel Mobutu. C’est l’un des moments fondateurs du maquis lumumbiste. Cette fidélité révolutionnaire est d’ailleurs évoquée par Ernesto Che Guevara dans ses notes sur le Congo.

1964–1965 : le front de Fizi-Baraka, Mitudidi stratège et adjoint de Kabila

En 1964, Mulele envoie Mitudidi dans l’Est du pays. Il devient l’adjoint de Laurent-Désiré Kabila, alors chef des maquis de la région Fizi–Uvira. Certaines sources le citent aux côtés de Kabila, Gaston Soumialot et Idelphonse Masengo parmi les principaux responsables des insurrections du Kivu–Maniema.

Au début de 1965, il est nommé Chef d’État-Major général et Commissaire politique du Front de l’Est, position de très grande responsabilité.

Le Caire, avril 1965 : une reconnaissance internationale

En avril 1965, Mitudidi participe à la Conférence au Sommet des Forces Révolutionnaires au Caire. Il y est nommé membre du Conseil Suprême de la Révolution, preuve de son influence réelle au sein du mouvement panafricain.

24 avril 1965 : l’arrivée de Che Guevara au Congo

Lorsque Che Guevara arrive au Congo pour soutenir la guerre de libération, il trouve un mouvement fragmenté et indiscipliné. Mais un homme se distingue nettement : Léonard Mitudidi.

Contrairement à Kabila qu’il juge fuyant et peu fiable, le Che voit en Mitudidi un leader rigoureux, clairvoyant et discipliné. Guevara écrit :

« Dans les fréquentes conversations que nous avions, il m’expliquait les méthodes diamétralement opposées qu’utilisait Mulele… »

Selon l’historien panafricaniste Walter Rodney, le Che et les Cubains perçoivent une désorganisation croissante, aggravée par les divergences entre Kabila, Mitudidi et Mulele.

La mort mystérieuse du 7 juin 1965 : accident ou élimination ?

Le 7 juin 1965, Léonard Mitudidi meurt noyé dans le lac Tanganyika. Officiellement, il s’agit d’un accident, mais de nombreux témoins du maquis pensent que cette noyade n’était pas naturelle. J’ai vécu moi-même à Kalemie, dans la province du Tanganyika, où j’ai mené mes propres investigations sur ce qui s’était passé pendant cette période.

Dans les maquis de l’Est, tout comme dans celui du Kwilu, le mysticisme, les fétiches et les attaques surnaturelles faisaient partie du quotidien. Mitudidi, homme de l’Ouest, apparut alors comme un « étranger » menaçant l’équilibre des pouvoirs locaux.

Che Guevara le considérait comme le véritable leader de la révolution, ce qui suscita jalousies et tensions. Sa mort fut interprétée comme :
• une élimination mystique,
• un acte visant à préserver certaines hiérarchies locales,
• et surtout une tragédie politique.

Le Che écrira alors, accablé :

« La seule personne qui avait de l’autorité a disparu dans le lac Tanganyika. C’est la mort d’un espoir… »

Après la disparition de Mitudidi, la communication entre Che et les insurgés congolais se détériora rapidement, et l’expérience cubaine au Congo prit fin peu après.

Conclusion : Léonard Mitudidi, l’espoir brisé de la révolution congolaise

Léonard Mitudidi avait tout : formation, intelligence, discipline, autorité naturelle et fidélité absolue au projet lumumbiste.
Il avait obtenu le respect de Mulele, de Gizenga, et même de Che Guevara — un fait historique majeur.

Sa mort n’a pas seulement privé le Congo d’un grand stratège ; elle a brisé une dynamique révolutionnaire qui aurait pu changer le cours de l’histoire.

Pour pérenniser sa mémoire et son combat, je propose la création d’une université dans le Tanganyika, le Kwilu ou le Kongo-Central, qui porterait son nom : Léonard Mitudidi.

Aujourd’hui, il est temps de réhabiliter cette figure oubliée, de rendre hommage à son combat, sa lucidité et son immense sacrifice pour le Congo.

Par : Mingiedi Mbala N’zeteke Charlie Jephthé
Activiste, Penseur et Notable de Madimba.